
Œuvres réalisées aux côtés de Fabienne Jaureguiberry et Leonore Gautier dans le cadre d'une résidence portée par le Département de la Haute-Garonne.
L’île est une figure paradoxale. À la fois isolée et connectée, limitée par ses contours et ouverte aux imaginaires, elle incarne une tension fertile entre clôture et expansion, entre le réel tangible et l’espace spéculatif. Depuis toujours, elle est un territoire propice aux projections utopiques, aux expériences alternatives, aux récits de rupture et de renouveau. Des cités idéales aux îles désertes, des mondes flottants aux archipels imaginaires, l’île devient un espace où les cadres établis s’effacent pour laisser place à de nouvelles formes de vie, de pensée et d’organisation. C’est dans cette dynamique que s’inscrit l'Île Heureuse, qui interroge l’île comme un lieu d’invention et d’expérimentation, un espace où l’imaginaire se déploie pour esquisser des utopies, mais aussi leurs dérives et mutations hétérotopiques.
À travers une approche sensible de la cartographie, ce projet explore les manières dont l’île est perçue, vécue et réinventée. Loin des cartes normatives et des représentations topographiques classiques qui figent les territoires dans des schémas rigides, il s’agit ici de créer des cartographies fluides, subjectives et mouvantes. Ces cartes ne cherchent pas à représenter un espace de manière objective, mais à traduire les expériences, les affects et les récits qui s’y ancrent. Elles prennent forme à travers des dessins, des peintures, des fragments, des traces collectées sur le terrain, des relevés intuitifs qui révèlent des dimensions invisibilisées du territoire. Chaque carte devient alors une transcription visuelle d’une expérience de l’île, une interprétation sensorielle qui oscille entre mémoire et fiction, entre documentation et imagination.
L’île est envisagée comme un laboratoire d’utopies, un espace où l’on peut esquisser d’autres formes de coexistence, d’organisation et d’interaction avec les milieux. Elle est un terrain d’expérimentation, où l’on peut imaginer des structures sociales alternatives, des écologies réinventées, des modes de vie affranchis des logiques dominantes. Mais cette utopie n’est jamais figée, jamais définitive : elle se transforme en hétérotopie dès lors qu’elle s’ancre dans le réel, dès lors qu’elle est traversée par des tensions, des contradictions, des glissements.
Chaque cartographie devient une strate d’un archipel d’expériences et de pensées, une tentative de réinvestir l’espace insulaire non pas comme un lieu isolé, mais comme un point nodal d’un réseau plus vaste d’horizons possibles.
Cette proposition s’inscrit dans une démarche de recherche et de création qui croise les pratiques de la cartographie expérimentale, du dessin, de la peinture et de l’édition. Il se nourrit d’une pratique de terrain, d’observations et de collectes sensibles, mais aussi d’une réflexion sur les représentations cartographiques et les récits utopiques liés aux îles. En jouant avec les échelles, les codes graphiques et les matériaux, il cherche à ouvrir des espaces d’interprétation et de projection, à inviter le regardeur à s’immerger dans ces territoires en suspension, à parcourir ces îles comme des lieux à la fois réels et imaginaires, ancrés dans le monde et détachés de lui.
En définitive, en interrogeant les formes que prennent les utopies lorsqu’elles se confrontent aux conditions matérielles et politiques du territoire, l’île apparaît ici comme un prisme à travers lequel repenser nos rapports à l’espace, à l’imaginaire et aux formes de vie possibles. Elle est un terrain d’expérimentation où s’inventent des cartographies sensibles qui ne figent pas le monde mais l’ouvrent à d’autres devenirs.




































Photos vernissage par Alexandre Ollier @CD31



